Marcel Ghigny

Entrez dans le monde du Théââââtre et de l'imaginaire!

-- Mesdames et messieurs ! L’Ultima Vida vous attend, vous tend ses porrrtes ! Entrez dans notre monde enchanté. Le monde du théââââtre et de l’imaginaire !

J’y suis entré et Clara m’a accueilli. Clara, c’est le nom de la roulotte de Pedro. Celle qui l’abrite depuis l’âge de cinq ans.

Avec eux, j’ai sillonné les routes, j’ai monté le chapiteau, j’ai démonté le chapiteau, j’ai découvert une famille improbable. Et le soir, à la lueur d’une bougie, Clara s’habillait de nuances et Pedro me racontait sa vie.

Jusqu’au drame...

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Joseph Bodson, AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie/Bruxelles) : Le style est vif, allègre, spitant, ai-je envie de dire, par la promptitude de ses dialogues, mais aussi par la beauté des paysages et des intempéries elles-mêmes: en témoigne la superbe description de la tempête qui va déterminer une brusque volte-face dans le scénario.

Découvrez les 10 premières pages !

Extraits


La vie n’est-elle pas une étrange suite d’évènements, de non-évènements, d’émotions, de coups bas, de coups durs ? Toutes ces choses qui nous ont façonnés, qui nous façonnent encore et resurgissent à des moments souvent inattendus.
En ce jour d’octobre deux mille quinze, je regarde cette roulotte dans le fond de mon jardin. Une de ces roulottes d’un autre siècle, faites de bois et de tôles et dont les seules concessions aux temps modernes sont les essieux et l’attelage. Elle était faite pour rouler et rouler encore, sillonner les routes belges, françaises, et plus loin quelquefois. Quand elle s’arrêtait dans les villes, les villages, commençait alors sa mission : faire rêver, créer la magie, assurer le spectacle.
Elle abritait aussi. Elle m’a abrité, lorsque j’en ai eu besoin. Elle m’a protégé, cajolé, m’a donné une famille, d’autres roulottes, d’autres gens. Le soir venu, elles se rassemblaient autour du feu et conduisaient au chapiteau.
De la voir au fond du jardin, en ce jour d’automne, dans ce décor inapproprié, ses peintures un peu délavées, son allure fatiguée, elle semble me dire « viens Louis, on repart. On va retrouver Pedro ! ».
Non Clara, non. Pedro n’est plus là. Tu le sais.
Alors, pourquoi lui avoir donné cet espoir ? Pourquoi l’avoir placée sous mes yeux ? Pourquoi m’être jeté sur l’opportunité de la racheter, quinze ans plus tard ? Pour ne pas oublier. Pour que tout cela grandisse encore en moi. La leçon n’est sans doute pas terminée. Je vais prendre mes pinceaux et essayer de repasser là ou Pedro est passé. Je vais suivre les traits qu’il a tracés. Faire revivre les personnages qu’il a imaginés, qu’il a peints sur sa vieille roulotte, des visages dignes de Jérôme Bosch ou de la commedia dell’arte. Ce décor improbable qui saluait le public, qui ondulait à la lueur des flammes et montrait que le spectacle avait déjà commencé, bien avant les trois coups.

...

Puis est arrivée sa dernière parade. La première de la foire de Tournai. Il venait d’avoir dix-huit ans en ce mois de septembre mille neuf cent trente-neuf. Derrière lui, Edmond rrrrroulait ses « rrrr ».

--- Mesdames et messieurs ! L’Ultima Vida vous attend, vous tend ses porrrtes ! Entrez dans notre monde enchanté. Le monde du théâtrrre, de l’opérrrette, le chant, la danse ! Venez rêver avec nous ! Et pour commencer, notre duo, les plus belles chansons d’amour du moment avec… Marrria et Pedrrro !

Ils sont à la parade, sur l’estrade, fait de stucs, de dorures et de draps aux fils d’or. Ils ont dix minutes pour remplir la « salle », dix minutes pour convaincre. Et Pedro y arrivait ! Il aime les parades, il aime parader.
Il ne sait pas encore que ce serait la dernière parade pour lui. La déclaration de guerre vient d’être annoncée et demain, il montera sur Bruxelles pour commencer sa formation de soldat.
Il a peur, il est plein d’appréhension. Avec dans sa tête le rappel lancinant de la Grande Guerre, de la précédente. Mais aujourd’hui, il veut oublier ! Il veut jouir de l’instant. Jouir des badauds qui s’amassent autour de lui et du regard de Marie qui l’embrasse. Pedro est plus sûr de lui que jamais, sûr d’eux, sûr d’elle. Edmond roule son dernier « rrrr », il s’assied devant le piano droit et ses doigts frappent les premières notes de la première introduction.
Pedro est amoureux, très amoureux. Elle est devant lui, belle comme un soleil. Ils se sont trouvés et leurs voix s’accordent tout aussi bien.

Les souvenirs sont là pour m’étouffer
De larmes, de fleurs, de baisers
Oui je revois les beaux matins d’avril
Nous vivions sous les toits tout en haut de la ville

Marie reprend le refrain. Sa voix est claire et fluide. Il sent aussi chez elle une émotion, légère et tremblante. Comme le serait un vent d’août sur les blés mûrs. Elle adopte un air coquin pour lui répondre :

Vous qui passez sans me voir
Sans même me dire bonsoir
Donnez-moi un peu d’espoir ce soir…

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