Marcel Ghigny

Deus vult, le cri des croisés...

8 décembre 2015, un attentat à Bruxelles, un char remplace les brocanteurs sur la place du Jeu de Balle, dans le parc Maximilien, les réfugiés campent comme ils peuvent.

C’est dans ce cadre-là que quelques Syriens chrétiens demandent l’accueil auprès de Victor Timmermans, curé doyen à l’église de Saint-Gilles. Pourquoi cette église ? Pourquoi Victor Timmermans?

Et quel est le rapport avec cet archéologue belge, très discret, fouillant dans la région d’Alep ?

Une intrigue qui nous vient de très loin. Deus vult est le cri de ralliement des croisés…

Comment aborder ces sujets sans évoquer Yahvé ou Allah ? L’intégrisme ou la tolérance ? La foi, ou plutôt, les fois ?

DeuS VulT met avant tout en lumière notre éternelle quête de sens, dans ce monde qui déborde. Il n’en est pas la réponse, juste une étincelle.

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Extraits

Samira

Je n’ai pas peur. Pourtant mon corps tremble.

Chaque cellule vibre, chaque neurone est en surtension, j’ai un arrière-goût au fond de la gorge. Celui du cachet qu’il m’a demandé de prendre. J’aurais dû boire un peu d’eau.

Je n’ai pas peur !

La soif, la faim, les maux de tête, les pieds fatigués, même ma malformation de la main gauche, plus rien n’a d’importance.

Vingt ans que je porte des soucis sans importance. Vingt ans qui me conduisent ici. À avancer dans cette ville que je connais bien.

Tourne à gauche Samira…

J’aime cette voix dans l’écouteur. Elle est douce. Elle est rassurante. Elle guide mes pas. J’aime son timbre, j’aime ses mots. J’aurais peut-être pu aimer celui qui s’y cache.

Je n’ai aimé aucun homme. Hormis mon père ! Pourquoi ? Je ne m’étais jamais posé la question de cette manière. J’avais pourtant tellement envie d’aimer.

Je vais aimer dans une nouvelle vie ! Une vie avec mon père, je vais le retrouver ! C’est aussi pour lui que je suis ici.

Je viens te chercher papa, je vais te prendre par la main. Mon sacrifice te ramènera là où tu aurais dû toujours être !

Je ferme les yeux pour ne plus voir que lui. Son beau visage imberbe, ses yeux profonds et lumineux comme un lac de montagne.

...

Victor

C’est un jour froid habité de flocons légers et hésitants. Une journée normale pour une fin d’automne. Une journée comme tant d’autres. Je viens de quitter ma mère qui m’a dit que Fik allait recevoir une rammeling parce qu’il avait cassé le vase de la cuisine et qu’elle était sûre que c’était lui ! Fik c’est moi. Victor, en bon français.

Bref, une journée qui, comme les autres, commence par mon footing matinal. Rue aux Laines, Hôtel des Monnaies, un petit tour des jardins de la Porte de Hal et je remonte par la rue Blaes. Tout cela se finira chez Nette par un petit-déjeuner. Après ma douche, j’irai célébrer ma première messe. Une journée comme les autres…

Je suis prêtre, comme je le voulais depuis l’âge de douze ans. De penser à cette période m’arrache un sourire. L’image que je me faisais de cette « mission » est bien loin de la réalité. Ou bien n’ai-je pas été assez loin, ne parler que de foi, que de Dieu. Devenir plus charismatique au détriment de mon approche plus humaine et plus terre à terre.

Je n’ai ni trahi, ni démérité. Je suis prêtre responsable de la paroisse de Saint-Gilles. C’est où Saint-Gilles ? Sortez de votre campagne bon sang ! Saint-Gilles est une des dix-neuf communes de Bruxelles avec sa paroisse et ses églises. J’en suis le doyen !

Seule une petite croix sous ma grosse veste d’hiver en atteste.

Je n’ai pas de regrets, juste le questionnement normal d’un homme de soixante-quatre ans. Le parcours n’a pas été facile. Les années ont poli mon exaltation et ce n’est peut-être pas plus mal. Il me reste l’enthousiasme, le plaisir des rencontres, sacerdotales ou autres. La foi, c’est comme la couche de graisse hivernale, c’est quand on l’a consommée qu’elle prend toute sa raison d’être. Il en reste l’essentiel, moi et Dieu. Elle ne repose plus en moi sur un simple credo, mais sur un ressenti profond. Celui qui vous apparaît lorsqu’on ne cherche plus vraiment à comprendre et à expliquer.

Journée normale donc. Elle commence par le lever de maman, qui ne m’a pas donné de rammeling pour la bonne raison qu’elle ne me reconnaît plus. Après mon footing et ma douche, je rejoins la place du Jeu de Balle. Le soleil n’est pas encore levé. On l’appelle aussi la place du Vieux Marché. Cette grande place est le rendez-vous des brocanteurs, des chineurs, des amateurs de vieilles choses inutiles appelées « brol » à Bruxelles.

Rien de tout cela aujourd’hui. La place est vide à l’exception d’un blindé et quelques militaires, mitraillette au poing. Un kamikaze a fait passer le niveau d’alerte à quatre, niveau maximum. Pauvre Bruxelles ! Tous les politiciens ont annoncé cela avec beaucoup de sérieux il y quatre jours déjà. « Les enquêtes se poursuivent ». On n’en saura pas plus « pour ne pas cultiver la peur ». Et si le niveau quatre indique une attaque « imminente », il ne faut pas avoir peur, nos policiers enquêtent et nos politiciens veillent !

...

C’est alors que ma position, face aux fidèles, me pousse à lever les yeux. Des silhouettes se déplacent sous l’orgue en restauration, sur le jubé. Elles se veulent discrètes, mais elles ne m’échappent pas. J’en arrive à ne plus voir les lèvres tendues. Chloé serait-elle déjà de retour ? Helena me rejoint et d’une tape au bras, me rappelle à l’ordre. Lorsque je relève les yeux, les ombres ont disparu. Qui pourrait en vouloir aux maigres affaires de réfugiés ? Ou alors… Non, mais non ! Impossible. Qui voudrait du mal à une assemblée en deuil ?

Je ne parviens plus à rester attentif à ma cérémonie et cela m’est rarement arrivé ! J’ai peur ! J’ai peur de la catastrophe et cette peur est la pire des choses. Je ne dois rien en laisser paraître.

En distribuant la communion, une nouvelle occasion m’est donnée d’analyser la situation et d’apercevoir des personnes qui ne semblent pas suivre la célébration. Elles visitent plutôt les lieux. S’ils avaient voulu agir sur l’assemblée, ils l’auraient déjà fait. Cette réflexion me rassure, sans plus.

Dernières prières, un tour discret avant de rejoindre le cercueil et le départ vers la mise en terre. Le jubé a été fouillé, tout est retourné, les matelas au fond de l’église ont été ouverts au couteau. Danger ? Pas Danger ? Je n’ai jamais été confronté à ce genre de problème. Dois-je tout suspendre, tout arrêter, appeler la police ?

...

Daniel

Je suis un peu chez moi ici, entre Jérusalem et Damas, entre Éphèse et Médine. Je suis apatride. Ces terres arides, ocre, rocailleuses ou ensablées font partie de mon décor. J’y suis bien. Je mets mes pieds dans les pas des premiers chrétiens.

Je suis un premier chrétien.

Je suis rempli de leur enthousiasme, je respire leur air, mes yeux sont les leurs. Antioche, Nicée, Éphèse sont mes patries au même titre que Bruxelles.

Depuis des années, je cherche, je fouille, je creuse… Mon métier d’archéologue appartient au Christ. Je ne travaille que pour lui. Démontrer sa grandeur, sa puissance et sa gloire.

Le faire en terre majoritairement musulmane nécessite une attitude furtive, voire clandestine. Je suis un solitaire, par nature et par obligation. J’ai toujours favorisé les régions peu peuplées, voire désertiques. Il n’y a pas de place pour un loup solitaire sur les grands sites de recherche comme Jérusalem, Éphèse ou Palmyre. Et je ne pense pas que les plus grandes découvertes puissent encore se faire là-bas.

Je n’ai pas de frontières. Je fais des fouilles discrètes partout, même en Arabie Saoudite, terre interdite aux archéologues. J’y travaillais sans autorisation. Je suis un braconnier.

Je repère les lieux dans les livres, les légendes, les traditions. J’ai aussi quelques informateurs. J’interroge les paysans, les villageois. Tout cela m’oriente vers un lieu présumé. Il existe beaucoup de sites oubliés sous le sable syrien par exemple. Ce sont ceux-là qui m’intéressent. C’est souvent de nuit qu’il me faut travailler. Ne pas être vu !

Je ne recherche que le Christ ! Très vite, j’en situe l’époque, les possibilités éventuelles d’une avancée qui Le concerne. Un texte religieux, un texte païen qui parle de Lui, une information éclairante sur Sa grandeur. Elles sont rares. Si le site s’avère intéressant pour une autre raison, je le signale alors à mon ami Rachid. Il est archéologue à Palmyre. La suite ne m’appartient plus.

Quarante ans que je sillonne ces terres arides. Je parle couramment l’arabe, l’hébreu et le turc. Je pratique l’araméen, le latin et le grec.

Je suis heureux, j’ose le dire. J’en ai quelquefois honte. Je suis sur le chemin que Dieu m’a fixé. Jésus Christ a-t-il été heureux Lui aussi sur terre ? Et si le bonheur était de mettre mes pas dans les Siens ?

Depuis quelques années, je privilégie le nord de la Syrie. J’y suis arrivé avant la guerre. Je suis aujourd’hui au sud d’Alep.

...

Victor

Depuis combien de temps me suis-je endormi ? Un bruit me réveille, me fait sursauter. J’émerge avec ce flou caractéristique du réveil brutal. D’où vient-il ? Très vite, d’autres se font entendre, de plus en plus forts. On est en train de vandaliser l’église ! Des objets tombent au sol, du bois brisé et des cris qui ne sont pas des mots. Je ne sais pas combien de temps je suis resté pétrifié sur mon lit de camp, tétanisé. Puis un hurlement. Je crois reconnaître la voix de Samira, puis c’est un pleur, Tareq.

Je me lève alors d’un bond, j’ouvre la porte de la sacristie, des éclairs sur le jubé, des cris suivis d’un grand silence. Mes yeux sont encore brûlés par ces explosions. Je perçois néanmoins des silhouettes sombres. Une lampe balaye le jubé. Des hommes habillés de noir, une cagoule sur le visage, cherchent quelque chose. Le tube en bois ! Brusquement, la lampe tourne, elle se pointe sur moi. Ils m’ont vu. Des pas dans l’escalier de bois, ils se précipitent. Je dois fuir, je le sais. Il n’y a plus rien à faire là-haut. Bouge, Victor ! Bouge ! ! Ils arrivent vers moi, je plonge enfin dans la sacristie, le bijou est toujours sur la table. Je le saisis et sors par la porte du fond, je suis dans la rue, j’entends des pas derrière moi. Je dois rejoindre le poste de police de l’autre côté de la rue. Il est fermé la nuit, peu importe, c’est un réflexe de survie. Coup de chance ou un signe de Dieu, je n’ai pas le temps ni l’envie de me poser la question. Un combi de gendarmerie se range devant moi, deux policiers en sortent immédiatement, conscients qu’il se passe quelque chose. Je me jette derrière leur camionnette. Je suis à bout de souffle, plus vraiment conscient de la suite. Je m’entends interpeller par les agents. J’attends la suite, les coups de feu, la mort ou le sang, mais rien, il ne se passe rien. Je ne bouge toujours pas. Je ne suis pas fier, mais vivant, semble-t-il.

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